« Dépasser le couvre-feu n'était, habituellement, pas mon genre, bien au contraire. J'aimais dormir, profiter de la nuit pour être en pleine forme le lendemain et ainsi avoir de l'énergie à exploiter sur mon blond préféré. Cependant, cette fois-ci, j'étais obligée de me rendre à l'évidence: je ne parvenais pas à dormir, faute d'avoir essayé. Demain, j'avais cours, et dormir alors qu'Akira était à coté était la pire des idées. Personne ne savait ce que son esprit tordu allait pouvoir faire, car même en cours, il serait capable de me déshabiller pour connaitre la couleur de mes dessous, ou alors simplement me dessiner dessus... des deux, je préférais largement la dernière des idées. Tout dépendait de son humeur, malgré tout. Ma pochette de dessin sous le bras, je m'habillai en vitesse après avoir pris une douche et sortit en douce. Fermer les portes donnant accès au parc de la pension n'etait pas sur, alors les Surveillants ne le faisaient pas. Je pouvais donc profiter de ça pour m'asseoir dans l'herbe et dessiner ainsi les étoiles qui décoraient le ciel. Enfin, c'était ce que j'avais prévu à la base, car avec la chance que j'avais, il n'était pas étonnant de constater que le ciel était couvert de nuages, ce soir. Bon, j'allais devoir me contenter de m'enfermer dans le planétarium, priant pour qu'il soit lui aussi ouvert. D'ailleurs, la pluie le tarda pas à tomber, pour couronner cette soirée bien trop malchanceuse à mon goût. Je m'avancai à l'aveuglette, guidée seulement par les souvenirs de l'endroit dans lequel je me trouvais, pochette à dessin pressée contre ma potine afin de l'empêcher de prendre l'eau. Ce serait trop dommage de mouiller ces pauvres œuvres qui n'avaient rien demandé de spécial. De plus, j'avais pris beaucoup de temps à les rassembler, alors tous efforts pour qu'ils terminent trempés, non merci ! Je poussai la porte blindée du dôme et la refermai derrière moi. Cette pièce, plongée dans le noir, n'était pas un lieu où je me rendais souvent. Les vraies étoiles étaient toujours plus agréables à regarder, mais j'allais, ce soir, devoir le contenter de ces astres artificiels. J'abaissai l'interrupteur et le plafond du dôme commença à s'éclairer de petits points lumineux, jusqu'à former alors le ciel étoilé que j'avais l'habitude de reporter sur papier. Je me glissai entre deux rangées de chaises et me mit à mon aise, la pochettes sur mes jambes repliées et fusains et crayons à la main. Mélanger les deux était étrange à la base, mais à force d'entraînement, j'avais réussi à former un résultat condnable, que je tentais d'améliorer à chaque fois.

Au fur et à mesure que mes doigts se promenaient sur la surface lisse du papier, je me plongeais dans mon univers, celui que je regagnais chaque fois que mon talent au dessin entrait en scène. Complètement coupée du monde réel, plus aucun son ne parvenait à mes oreilles, plus aucune image à mes yeux, comme si j'étais entrée en transe. Ce fut ainsi que je ne remarquai pas la porte du planétarium s'ouvrir, un silhouette se faufiler à l'intérieur et refermer derrière elle. Mes yeux se baladaient entre la feuille et le plafond, si bien que je finis par avoir mal au cou à force de lever la tête. Dessiner les étoiles assise dans l'herbe était nettement plus confortable, mais je n'allais pas, à minuit, faire un tour dehors. C'était un coup à attraper une pneumonie, ce que je ne désirais en aucun cas. Des bruits attirèrent mon attention, quelques rangées de chaises plus bas. J'aperçut une tête, ce qui le Italie sursauter. Quelqu'un était entré et ne faisait guère attention à moi, et vu d'ici, il était impossible de déterminer l'âge et le sexe de cet inconnu. Je rassemblai mes affaires en vitesse et descendit les escaliers à pas de loup, faisant bien attention à ne pas me faire repérer. Arrivée au niveau de la porte, je posai à peine la main dessus qu'elle s'ouvrit brusquement, me laissant tout juste le temps de m'écarter de sa trajectoire. En prime, je trébuchai et manquai de m'écrouler totalement sur le nouvel arrivant, mais je sus me rattraper au dernier moment, non sans lâcher un petit cri de surprise. Je regardai un instant au dehors; la pluie battait son plein, et maintenant que je m'étais fait repérée, autant ne pas prendre le risque de mouiller mes dessins et rester un petit moment encore. De toute façon, nous étions trois, alors bon...

— Je pense que tu devrais rentrer, ou tu vas finir par mettre des gouttes d'eau sur ça, déclarais-je en montrant ma pochette.

Sans prêter attention à mon interlocuteur, je fit volte-face et prit la direction de l'autre, assis et occupé à regarder les étoiles. M'approchant de lui, je lui tapotai l'épaule en lui demandant depuis combien de temps il était planté ici, histoire de me faire une idée de combien de minutes j'avais passées à dessiner sans rien voir au dehors. La soirée promettait d'être assez longue, en soi. »

« Je claquai nerveusement de la langue à la réponse de la fille, qui en était visiblement une d'après son timbre de voix. Pas qu'elle m'ait énervée particulièrement, mais elle je détestais ne pas savoir quand est-ce que quelqu'un décidait de s'incruster dans les lieux ou je devais, en principe, rester seule. Mon lit, par exemple. Trêve de bavardages, je ne désirais pas vraiment m'étendre sur le sujet.
Nous étions donc trois, en comptant la troisième personne, qui avait bien failli me mettre au moins trois points de suture rien qu'en ouvrant cette satanée porte trop lourde. Je décidai donc de m'asseoir aux côtés de mon interlocutrice et posai mes pieds sur le dossier situé devant moi. Ma pochette de dessin sur les genoux, je griffonnai distraitement sur une feuille vierge pendant une bonne dizaine de secondes, jusqu'au moment où une voix masculine me fit relever la tête. D'ici, je ne voyais pas grand chose mais distinguai vaguement une silhouette aux épaules carrées, assez grande et une chevelure ébène qui se confondaient avec l'arrière plan constellé d'étoiles.

— Le sérieux c'est pas mon truc. Et puis, je pourrais te retourner ta remarque ! fis-je en replongeant la tête dans mon dessin.

Au fur et à mesure que mon crayon se frottait à la feuille, j'aperçus la silhouette d'une fleur. Une fleur toute seule au milieu d'une page blanche, ce que j'avais été, après tout, durant de longues années. Entourée de plein de larbins, et pourtant toute seule, toujours. Enfin, cette époque était révolue maintenant, puisque j'avais maintenant quelqu'un qui n'était pas prêt de me laisser seule, et ce sous n'importe quel prétexte. Avoir quelqu'un comme lui dans son entourage était aussi rassurant qu'effrayant, et je m'efforçai de ne pas penser à lui pour le moment. Il devait être en train de dormir, en principe, et je n'avais pas la tête à l'appeler pour le réveiller... du moins pour l'instant.
Je reportai mon attention sur mes mystérieux interlocuteurs, dont je ne distinguai quasiment rien. Peut être qu'un passage du côté de la Voie Lactée pourrait éclaircir un peu notre paysage, mais il fallait encore patienter. En attendant, je ne connaissais aucune de ces deux voix et en conclut qu'ils n'étaient pas dans ma classe, ainsi que je ne leur avait jamais adressé la parole. Bizarrement, je me rendis compte que je ne portai pas vraiment d'intérêt à mon entourage, et lorsque Kira n'était pas là, je me sentais... seule. Encore ce sentiment de solitude qui me suivrait bien toute ma vie, sans que je puisse en dire quoi que ce soit.

— Je suis Sara, et vous ?

Mon nom de famille était connu au Japon, je le savais. Sauf que maintenant, je ne voulais plus avoir de rapports avec mes parents, et essayait de les contacter le plus rarement possible... enfin pas plus qu'il n'était nécessaire. Envoyer des dessins de vêtements, ou commander des tenues, rien d'autre. Être autonome et voler de mes propres ailes, en quelque sorte. Ce fut ainsi que je ne communiquai pas mon nom de famille, puisque je ne m'en servais désormais que lorsqu'il le fallait, lorsque j'avais besoin de faire pression si mon aisance naturelle n'était pas suffisante. »