Aujourd'hui serait un jour comme un autre à mes yeux. Noir et bruyant quoiqu'il advienne. La lumière n'était moi plus qu'un souvenir et une sensation. Les autres n'étaient que sons et odeurs. C'était tellement étrange de devoir dire à quelqu'un qu'on l'avait reconnu grâce à son odeur...beaucoup pourrait mal le prendre. Mais que pouvais-je y faire...
Assise sur un des nombreux -je supposais d'après ce que l'on m'avait dit en me faisait faire le tour du propriétaire- fauteuil du grand hall, je réfléchissais. Aujourd'hui, je n'avais pas cours. C'était un des jours qu'ils laissaient libre aux étudiants désireux de travailler plus que de raison ou bien pour se détendre et s'amuser comme c'était, je pense, le cas ici aussi. Distraitement, mes doigts caressait le cuir de l'accoudoir du fauteuil, comme si le simple fait de le toucher pouvait me renseigner sur tout un tas de chose.
J'avais perdu la vue, mais j'avais aiguiser trois autres de mes sens. Je voyais simplement différemment des autres, insensible à la beauté extérieur dont il fallait tant se soucier à notre age. Je ne savais même pas à quoi je pouvais bien ressembler aujourd'hui.

Je me levais du fauteuil, dépliant d'un geste assuré ma canne blanche -unique armes des gens comme moi- et me déplaçait à petit pas rapide sur le sol glissant. Je portais des petite ballerine de tissus, que j'avais reçu d'un ami chinois. On était bien dedans, et je pouvais aussi bien courir que marcher avec. De quel couleur était le vêtement que portais ? Rouge sans doute, ou bien noir. La première étant ma couleur favorite , la seconde étant celle qui me permettait de passer inaperçue malgré ma différence.

Revenons donc à nos moutons. Je poussais la porte du grand hall après avoir tâtonné un peu pour chercher la poignée. Et je me retrouvais dehors. Je n'eus pas le réflexe de me protéger le visage du soleil, je ne le voyais absolument pas. Mais je le sentait. La chaleur rassurante qui glisse sur ma peau. Il faisait beau aujourd'hui. J'entendais piailler les petits oiseaux dans les arbres, je sentait la nature proche, et je sentait la présence des autres élèves. Les rires, et les murmures, les notes de musiques venant des salles au dessus...J'entendais tout. Et sans doute plus que ce qu'une oreille normale pouvait entendre. J'avais une très bonne mémoire, excellente même.

Petit pas par petit pas, j'avançais dans la cour, agitant ma canne devant moi à la recherche d'un obstacle qui serait apparu depuis la dernière fois que j'étais venue ici. Dans ma tête je comptais. Je voulais aller m'assoir sur le petit muret un peu plus loin, situé exactement a 45 pas de la porte d'entrée. Tout n' »tait que sons, odeurs, toucher et calcul pour moi à présent. Et pourtant malgré tout, j'avais été une étoile du plus grand cirque chinois existant, et j'étais toujours une athlète de haut niveau. J'avais ça dans le sang, il faut le croire.

Ma canne rencontra un obstacle, tandis que je comptais le 45ème pas dans ma tête. J'étais arrivée. Un sourire fleurit sur mon visage. Cette autonomie que j'avais me plaisais vraiment. Je repliais ma canne et me posais sur le mur.
Et j'étais plongé dans mes pensée si profondément, que je ne remarquait le bruit régulier d'une personne tapant sur un clavier d'ordinateur tout près de moi. Je m'étais assise sur le muret près de cette personne. Elle ne semblait pas m'avoir vue, car lorsqu'elle remarqua ma présence, elle poussa un petit glapissement de surprise, alors que juste avant elle parlait dans un anglais parfait...sans doute au téléphone, ou dans un de ses jeu où l'on pouvait communiquer avec les autres.


Loin de moi l'idée d'envahir son espace personnel. Cette idée me parut étrange alors qu'elle fleurissait dans ma tête. Devais-je vraiment m'excuser ? Ma foi, elle y était avant moi, donc oui, c'était à moi de m'excuser. J'étais peut-être aveugle, mais j'étais polie, c'était la moindre des choses.

Pendant un instant je me retrouvais de nouveau dans le silence bruyant de la cours, comme tous les jours de congés hebdomadaire que j'avais pu connaitre dans vie. Mais la vie sans soleil, parce que dans l'autre, il y avait souvent trop de chose a voir pour tout bien entendre.
J'entendais ses doigts taper sur son clavier, avec une rapidité déconcertante. Du temps ou je voyais encore, je n'avais jamais taper aussi vite sur un clavier...en même temps, dans mon genre j'étais un peu technophobe aussi...

J’écoutais ses doigts sur le clavier, j'écoutais sa voix, son anglais parfait et son timbre. J'entendais les vibration, je sentais les sentiments s'échapper de sa voix. Et le ton catégorique qui précéda une clapotis de touches, sec. Était-elle énervée? Hmm...je ne savais pas vraiment. Est-ce que je l'avais dérangée pendant qu'elle faisait une chose importante? J'espérais que non. Mais je n'aurais pas pu le voir pour savoir a quoi m'en tenir. Et un silence ce fit à nouveau, tandis qu'elle fermait son ordinateur. Sortait-elle toujours avec? C'était fort possible!

"Laisse tomber. De toute façon, si j'avais voulu être tranquille, je me serais installée dans ma chambre et pas dans la cour..."

Je me tournais vers elle, doucement. Mais mon regard restait désespérément vide. Il le resterait jusqu'à la fin de ma vie. Je ne savais pas quelle expression elle affichait ni ce qu'elle pouvait penser de moi et qui perçait dans son regard. Et je m'en moquais en fait. Les gens simplement intéressés par l'apparence n'était pas forcement intéressant. C'est ce qu'on m'avait dit. Mais je préférais me fier a mes propres capacités pour juger les autres, même sans les voir. J'affichais un petite sourire rêveur.

-Je ne voulais pas te déranger pendant tes activités, qui avait l'air fort captivantes...

Je disais cela sans arrière pensées. J'étais un peu curieuse de savoir ce qu'elle pouvait faire, a parler ainsi anglais devant un écran. Parlait-elle a un ami? Jouait-elle a l'un de ses jeu révolutionnaire? Je ne savais pas...mais je n'osais pas non plus lui demander. J'aurais peut-être l'occasion de le faire en apprenant à la connaitre, si bien sur elle nourrissait elle aussi le désir de faire connaissance avec moi. Mais pouvais-je vraiment l’intéresser, moi qui ne voyait le monde qu'en son et en odeurs?

"J'imagine que tu es nouvelle. Je te souhaite la bienvenue au Pensionnat, tu risques d'y crécher un long moment. Juste pour l'information, je m'appelle Akemi Misaoka. Tu ne me reverras sans doute pas, étant donné que je ne suis pas ni parmi les plus sociables ni parmi les plus charitables de cet établissement."

Le son de sa voix m’empêcha de me plonger dans ma philosophie de vie, et dans mes moments de blues passager. Est-ce que j'étais nouvelle? Oui, cela faisait en fait un mois que j'avais intégrer l'école, mais de part mon handicap c'était le temps qu'il m'avait fallut pour prendre mes marques dans cet endroit immense et pour y avoir un brin d'autonomie.


Je lui adressais un sourire à la suite de sa phrase.


Je me moquais de moi-même. Mais c'était pour ne pas tomber dans la déprime avec ce que je n'avais plus tout simplement. Puis, en y réfléchissant bien, son nom me disait quelque chose. Je me tapotais la joue avec la boule blanche de ma canne d'aveugle repliée. Puis je lui offris à nouveau un sourire.

Si je l'avais vexée je m'en excusais sincèrement, mais je ne notais pas toujours la portée des mots que je pouvais employer. quand on ne voit plus, il y a certains mots qui perde leur sens. Et comme je ne mentais pour ainsi dire jamais, jamais du mal a me faire à l'ironie mordante que j'entendais parfois. Une arme que je n'utilisais plus, et que même du temps où je voyais je n'avais jamais aimé utiliser: parce que les mots employés avec cette armes, font souvent mal.

Les gestes brusques qu'elle faisait était peut-être ma faute finalement. Je devais avoir dit quelque chose de fort bizarre, parce que je sentait qu'elle était encore là, je l'entendais respirer, mais les mots ne semblaient pas vouloir venir me dire bonjour. Cherchait-elle ses mots, pour ne pas être désobligeante avec moi? Ce n'était pas la peine de faire ça, je suis quelqu'un qui ne se vexe presque jamais...il en faut vraiment beaucoup pour arriver a m’énerver ou me blesser en une seule rencontre.

Et tandis que je lui disais que nous serions assurément amenées a nous rencontrer de nouveau, elle m'adressa enfin quelques mots. Des mots marqué par la perplexité et l’incompréhension des miens sans doute.

"Pourquoi tu dis ça ? Tu as l'intention de devenir mon amie ou un truc dans le genre ? Parce que, je te préviens, je ne suis vraiment pas le genre de personnes avec qui tu t'amuseras ou qui risquerait de t'intéresser."

Je me tapotais de nouveau la joue avec ma canne, avant de sourire. Oui j'avais peut-être choisis les mauvais mots, mais c'était tellement plus facile de s'exprimer autrement maintenant. C'était plus naturelle pour moi de parler d'odeur et de sensation. Je posais ma cannes sur mes cuisses, et tournais la tête vers l'endroit où je supposais -et espérait- que se trouvait son visage. La localisation, était encore difficile pour moi parfois.


Je vous l'avait dit, rien ne mine mon moral très longtemps. Je suis heureuse de vivre, peut importe dans quelle condition. Ma mère m'a mise au monde, je suis toujours là alors que j'aurais pu ne plus y être et pouvais être autonome.



Puis je réalisais soudain, qu'elle c'était présentée à moi, mais que je ne l'avais pas fait. Je senti le rouge me monter aux joues, et balbutia quelques excuses, avant reprendre:

"Ma...camarade de chambre ? Sérieusement ?"

Alors ça, c'était la meilleure ! Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? J'avais toujours eu une chambre seule, jusqu'ici, et je m'en contentais parfaitement ! Elle constituait mon refuge, mon point d'ancrage...Le seul endroit où j'avais la possibilité de m'isoler, d'être tranquille lorsque mon coeur se serrait de tristesse et que les larmes me montaient aux yeux. Ça n'était pas rare, quand bien même j'aurais désiré être bien plus forte et solide que je ne l'étais actuellement. Mais si cette fille devenait ma colocataire...Je n'aurais plus droit à la moindre intimité dans cet établissement !
Cette constatation m'emplit d'effroi. Un effroi que je m'efforçais tant bien que mal de catalyser, serrant entre mes mains à la limite de la tétanie le tissu de ma jupe brune. Après tout, ce n'était pas sa faute si l'administration de ce pensionnat avait décidé de se jouer de mes nerfs et l'avait attribué à ma chambre. Je devais m'améliorer, devenir une personne meilleure...Et, pour cela, il fallait que j'apprenne à ne pas rejeter tous mes malheurs sur les hommes ou femmes qui m'entouraient. Cela ne pourrait que me nuire...Comme cela m'avait nuit autrefois. Le souvenir de ces jours passés m'inspira un frisson. Je ne devais pas y repenser...

"Personne ne m'avait averti de quoi que ce soit. Enfin, ce n'est pas grave. Je vais devoir refaire un peu l'aménagement de ma piaule, j'ai étalé mes affaires partout, dans tous les sens."

Je poussai un soupir, qui s'entrecoupa d'un ricanement amusé. Depuis combien de temps n'avais-je pas fait le ménage dans ma chambre ? J'étais vraiment une "souillon", comme me l'avait parfois dit ma mère lorsqu'elle avait eu le malheur de s'aventurer dans mon antre.

"Il faudra que je range un peu, j'imagine...Ca risque de prendre un certain temps. Si je ne le fais pas, tu risques de ne pas pouvoir atteindre ton propre lit, submergée que tu serais par une montagne d'immondices."

J'avais rapidement perdu le peu de bonhomie que j'avais manifesté pour prononcer cette phrase d'un ton neutre, plus aisé à déclarer et beaucoup moins embarrassant. Je n'étais pas habituée à plaisanter d'une voix aussi badine, cela me perturbait quelque peu...
Tandis que je réfléchissais au moyen de préserver un peu de mon indispensable intimité face à cette invasion intempestive, je songeai aux dernières phrases que cette Kimberley avait prononcé.

*C'est une hypothèse intéressante que d'être ton amie...Y pense-t-elle réellement ?*

Je n'avais jamais eu d'amie...Pas une seule fois. Je devais rester réaliste...Elle disait cela parce qu'elle ne me connaissait pas. Une fois quelques jours passés, elle se désintéressera totalement de ma personne. Ce ne serait pas la première fois. Les faux espoirs...c'est une telle déchirure...

[HJ: Je m'excuse pour mon temps de réponse, je n'ai pas eu le temps cette semaine ^^"]


"Ma...camarade de chambre ? Sérieusement ?"

Inconscient, comme si je pouvais moi-même de voir, et devant l'incrédulité que je percevais dans sa voix, je hochais la tête comme pour affirmer que ce n'était pas une mauvaise blague.
Mais elle semblait le prendre comme telle. Elle n'avait pas l'air vraiment heureusement de devoir partager son lieu de vie. Était-ce parce qu'elle ne m’appréciait pas ou bien parce qu'elle préférait la solitude ? J'allais envahir son espace vital, moi et mon handicap...et elle allait être obligée de faire attention à tout. Enfin non pas à tout, elle ne pourrait plus faire ce qu'elle faisait lorsqu'elle était seule tout le temps.

Le silence s'étira. Cette fois il n'y eut pas de bruit de touche pour me dire qu'elle était retourner dans son jeu. Juste le bruit de sa respiration plus tendu qu'il y a deux minutes. Cette idée ne lui plaisait vraiment pas apparemment. Je pourrais sans doute me débrouiller pour trouver une autre chambre si vraiment ma présence l'insuportait autant...mais est-ce qu'elle n'aurait pas réagit avec toute les personnes susceptibles de piétiner sa vie privée ?

"Personne ne m'avait averti de quoi que ce soit. Enfin, ce n'est pas grave. Je vais devoir refaire un peu l'aménagement de ma piaule, j'ai étalé mes affaires partout, dans tous les sens."

Je restais silencieuse tout en réfléchissant à ce que je pourrais bien lui dire. Je ressentais la furieuse envie de lui demander pardon, comme si j'avais commis une quelconque erreur. J'avais sentit qu'elle ne semblait pas être d'accord, j'avais compris qu'elle prenait sur elle. Mais dans sa voix, il persistait une touche de mensonge dont elle ne devait même pas avoir confiance. Elle me parlait, et elle essayait en même temps de se convaincre de ses propres mots.

Je sursautait en l'entendant rire, et posait sur elle mes yeux totalement vides et morts. C'était bien souvent déroutant pour les gens, mais je n'en avais pas confiance, je ne le faisais pas volontaire pour mettre mal à l'aise. D'ordinaire je portais des lunettes de soleil pour me cacher, mais là je les avais oubliées.

"Il faudra que je range un peu, j'imagine...Ça risque de prendre un certain temps. Si je ne le fais pas, tu risques de ne pas pouvoir atteindre ton propre lit, submergée que tu serais par une montagne d'immondices."

Je secouais doucement la tête, mon sourire rêveur se fanant quelque peu. Mais juste une demi seconde, puis je souriais de nouveau, agitant les deux mèches rousses qui s'étaient libérées de mes chignons.


Manque de pot, il n'y avait pas de nuage au dessus de ma tête, et j'avais peut-être laissé passé un peu plus que ce que je n'aurait du. Mais je ne pouvais pas savoir moi, qu'on allait me mettre avec une fille qui n'aimait les contact humain. Mais si je pouvais l'aider à sortir de sa bulle en douceur pourquoi pas. Je veux dire par là, je suis quelqu'un de gentil, et puis je ne demande pas trop d'attention, tellement peu de gens ne me remarque qu'à cause de ma différence. Elle se rendrait vite compte qu'un clavier en braille, des écouteurs et parfois un livre spécial pour moi, et je me faisais si transparente qu'on oubliais vite ma présence. Des années de pratique, ça aide.

Malgré tout, je persistais à vouloir discuter un peu.