Amnesia somnolait à moitié, la tête appuyée contre la vitre froide de la voiture qui roulait à toute vitesse. Son frère l'avait réveillée tôt ce matin, beuglant que "aujourd'hui était un grand jour pour elle" et qu'il fallait "en profiter le plus possible". Croyez-le, à six heures du mat', ce genre de discours faisait le même effet qu'une motte de terre au soleil. En gros, ça fait pas grand chose. Bref, elle était enfermée depuis maintenant presque une heure et demie dans l'habitacle à air conditionné de la voiture. Ses soeurs lui avaient sauté dessus pour l'habiller et elle s'était retrouvée affublée d'une courte jupe plissée mauve, d'une chemise de la même couleur sur laquelle elles avaient passé un gilet noir aux manches consciencieusement étirées par la jeune aveugle. Comme il faisait encore relativement frais dehors, elle avait enfilé des bas montant, noir rayé de violet et des bottes qui lui arrivaient presque au genoux. Sa chevelure brossée avait été attachée en chignon qui, grâce à la voiture et la vitre, avait été vite défait.

La voiture noire roulait en direction du prestigieux Pensionnat Prodiges, où la demoiselle avait réussi à se faire accepter. Elle commença à se réveiller une demi-heure avant l'arrivée et elle s'étira puis chercha à tâtons la paire de lunettes noires qu'elle mettait lorsqu'elle se trouvait dans des lieux publics. Elle posa son coude sur l'accoudoir avec une infinie précaution, de peur de se faire un bleu supplémentaire et posa la joue dans sa paume. Comme à son habitude, elle ne se montrait pas trop bavarde avec le chauffeur et fut surprise quand celui-ci lui souhaita bonjour. Elle reconnu immédiatement la voix féminine et un grand sourire éclaira son visage. Il s'agissait de sa tante, qui avait adopté les quatre frères et soeurs lorsqu'on les avait arraché à la garde de leur père. C'était elle qui s'était occupée des formalités de l'inscription et lui avait, avec les soeurs d'Amnesia, redonner goût à la danse et la GRS. Elle était comme sa mère.

- Tu vas m'aider à m'installer au Pensionnat ? demanda-t-elle, pleine d'espoir.

- Non, je suis désolée, j'ai un rendez-vous et j'ai juste le temps de te déposer, si je ne peux pas le rater. Cela concerne ton père.

- Oh, je vois. Bah, c'est pas grave, je me débrouillerais.

Déçue, elle se renfonça dans la banquette et tourna la tête vers le fenêtre, essayant d'imaginer à quoi ressemblait le paysage, dehors. Le trajet toucha finalement à sa fin et Amnesia se retrouva devant un portail de fer, une main posée dessus, l'autre fermement cramponnée à son sac. Hannah, sa tante, lui avait indiqué que l'entrée se trouvait en ligne droite et que, heureusement, il n'y avait personne dans la cour qu'elle aurait pu percuter. Réprimant ses tremblements, elle fit un pas en avant, puis commença à avançer d'une démarche maladroite et vacillante, droit devant elle. Et puis arrive ce que devait automatiquement arriver. Elle percuta quelque chose. Elle se retrouva assise sur le sol, ses lunettes noires à quelques centimètres d'elle bien qu'elle ne puisse pas les voir, le visage levé vers celui qu'elle ne pourrait jamais voir.

- P-pardon ! Je ne vous avais pas vu arriver, babultia-t-elle, rouge.

En prononçant sa phrase, elle se rendit compte de la débilité de l'expression. Je ne vous avais pas vu. Comment pouvait-elle voir quelqu'un si ses yeux étaient hors-service ?

- C'est rien, fit une voix masculine. J'aurais dû faire plus attention. Ça va aller sinon ?

Un garçon. Il avait fallut qu'elle tombe sur un garçon. Toujours en bafouillant, elle lui signala qu'elle allait bien -plutôt mourir qu'avouer qu'elle aurait mal aux fesses pour les deux prochaines heures- et fut surprise se sentir une main se refermer sur son bras pour la relever. Une fois remise sur pieds, elle tenta de percevoir les mouvements de l'inconnu mais il était très silencieux.

- Tiens, je crois que c'est à toi, déclara-t-il en lui fourrant quelque chose de froid dans les mains. Les lunettes, compris Amnesia. Je suis Heaven Smith, enchanté.

- Amnesia BlackMoon, répondit-elle. Enchantée de te connaître, Heaven.

Elle buta quelque peu sur la dernière phrase mais afficha un grand sourire. Elle remit ses lunettes et ferma les yeux, à l'abri derrière les verres teintés. Depuis qu'elle était aveugle, elle avait prit l'habitude de fermer les yeux dès qu'on ne pouvait les voir. Ça l'aidait à se concentrer car, ne voyant plus, elle avait perdu l'habituel clignement des yeux et devait donc le faire par elle-même, ce qui accaparait son attention.

- T'es nouvelle, je me trompe ? Si c'est le cas je peux t'aider à t'installer, au cas où tu aurais besoin d'un peu d'aide.

- Oui, je suis fraîchement débarquée. Ce serait gent...

Amnesia s'interrompit. Elle avait besoin d'aide mais être en présence d'un garçon la rendait mal à l'aise car les images de son père fou furieux lui revenaient en mémoire. Le seul avec qui elle n'avait pas de problèmes était son frère. Elle secoua la tête pour chasser ces tristes souvenirs et ces pensées aussi noires que ses lunettes et tira machinalement sur une manche de son pull pour qu'elle recouvre la totalité de sa main. Se dandinant, elle reprit d'une petite voix :

- Ce serait vraiment sympa que tu m'aides mais... tu n'as pas cours ?

Les cours, quelle bonne excuse pour se défaire des gens. Bon, ça ne fonctionnait pas toujours mais une fois sur deux, ça allait. Se rendant compte qu'elle ne tenait plus son sac, elle se pencha et tâtonna à la recherche dudit sac et finit par mettre le doigt dessus. Consciente qu'elle devait paraître étrange, autant dans son comportement que dans sa façon de regarder des trucs qu'elle ne voyait pas, elle agrippa fermement la poignée et se redressa.

- L'entrée, c'est bien la porte qui est droit devant ? demanda-t-elle en espérant qu'il y ai d'autres portes et qu'il n'y ai pas d'indications, genre gros panneau avec flèche lumineuse clignotante indiquant "Par là, par là !".

Les pomettes roses, elle passa une main dans sa chevelure pour cacher son embarras et sourit doucement. Si elle l'était pas obligée de révéler elle-même son handicap, ça lui convenait. Si par contre ce garçon se montrait idiot au point de ne rien voir, elle le laisserait patauger dans ses interrogations. Méchante, Amnesia ? Non, juste allergique à la gente masculine. Elle frisonna et se rendit compte qu'elle commençait à avoir froid aux jambes. Mais à quoi pensaient ses soeurs en lui mettant une jupe alors qu'on était en plein hiver ? La jeune fille croisa les bras sur sa poitrine dans une vaine tentative de se réchauffer. En plus, elle songea qu'ils devaient paraître idiots, ainsi plantés dans la cour.

- Et... où se trouve le secretariat ? ajouta-t-elle d'une voix hésitante.

Heaven lui fit savoir qu'il avait une heure de fourche, d'où la raison de sa présence en dehors d'une quelconque salle de classe. Il comfirma ensuite l'emplacement de la porte d'entrée à l'aide d'un presque inintéligible "Hn". Il répondit ensuite à la question concernant le secrétariat.

- Pas loin derrière l'entrée. Attends je t'y accompagne, comme ça je te fais visiter en même temps; le pensionnat est énorme, c'est la facile de s'y retrouver avec tous ces couloirs.

Comment ça "Avec tous ces couloirs" ? Elle avait entendu des rumeurs sur le directeur/fondateur un peu taré de l'académie mais s'il se révélait assez dingue que pour faire de son établissement un véritable labyrinthe, elle n'était pas sûre de vouloir rester. Non mais sérieusement, si une personne dotée de la vue se perdait déjà dans ces couloirs, qu'adviendrait-il d'elle, pauvre petite aveugle ? Elle fut arrachée à ses pensées par la main du garçon qui lui prit son sac. Ce fut un infime frôlement mais elle ne put réprimer un frisson appeuré. Il ne semblait pourtant pas bien méchant mais c'était plus fort qu'elle. Heureusement qu'il fait froid à pierre fendre et qu'on pouvait croire que son frisson avait été causé par ledit froid de canard. Elle le sentit s'éloigner et en déduit qu'il se dirigeait vers l'entrée du pensionnat. Amnesia s'empressa de le rattraper et au fur et à mesure qu'elle s'approchait du bâtiment, un odeur âcre de cigarette la prit à la gorge. Beurk. Comment des gens pouvaient-il aimer ce genre de truc ?

- Heaven ! Tu fait quoi de beau ?
- Je tricote, ça se voit pas ?
- Ahah, il a de l'humour... Non sérieux, tu lui fais visiter ?
- Je lui dois bien ça, je viens de lui rentrer dedans.
- Ok, ben bonne visite, et j'espère pour toi que Lady vous verra pas ou je donne pas cher de ta peau !

Lady ? C'était un nom très joli, selon l'avis de la jeune fille. Heaven était aussi original, dans son genre. Elle sourit légèrement et entendit une porte glisser sur ses gonds tandis qu'une bouffée de chaleur l'assaillait, signe évident que le garçon avait ouvert la porte du bâtiment. Elle s'empressa de rentrer, trébucnaht quelque peu sur la marche qu'elle n'aurait jamais vue. Okay, à noter : IL Y A UNE FOUTUE MARCHE ! La porte se referma en silence derrière elle et la jeune fille sentit qu'il repassait devant elle. Elle le suivit, se fiant plus à ce qu'elle entendait qu'à autre chose et faillit le heurter quand il s'arrêta. Devant le secrétariat, sans doute.

- Tiens donc, Mr. Smith... encore pour des problèmes de violence ? Je vous ai déjà dit d'aller directement en salle de permanence et... fit une voix féminine et austère, près d'elle.
- C'est pas ça madame. Une élève vient d'arriver et je l'accompagne.
- Ah, bon... venez mademoiselle. Nom, prénom, âge, talent et signes particuliers .

Se repérant à la voix de la secrétaire, Amnesia s'avança d'un pas et répondit d'un trait :

- Blackmoon Amnesia, 16 ans, classe sportive, douée en danse et GRS.

Elle omit volontairement de répondre à "Signes particuliers" mais la dame ne le rata pas.

- Aucun signe particulier, Miss BlackMoon ?
- S-Si. Je... hum... suis aveugle.

Voilà, c'était dit. Fini. Cela ne ferait sans doute ni chaud ni froit à l'austère secrétaire mais elle s'en fichait royalement. Il y a bien longtemps qu'elle dédaignait la pitié dont faisaient preuve les gens qu'elle croisait.

- Tu me fais visiter ? demanda-t-elle à Heaven avec un petit sourire forçé, pressée de s'éloigner du secrétariat.

Elle ôta ses lunettes noires et les plongea dans une poche. Ouvrant ses yeux aveugles, elle balaya sans la voir la salle. Les sons ne résonnaient que très peu, elle en déduit donc que la pièce était assez grande.


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